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8 mai 2020 5 08 /05 /mai /2020 20:12

Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (1)

29 Janvier 2020

  

Chers frères et sœurs, bonjour!  

Nous commençons aujourd’hui une série de catéchèses sur les Béatitudes dans l’Evangile de Matthieu (5, 1-11). Ce texte qui ouvre le «Discours sur la montagne» et qui a illuminé la vie des croyants, et aussi de nombreux non-croyants. Il est difficile de ne pas être touché par ces paroles de Jésus, et le désir de les comprendre et de les accueillir toujours plus pleinement est juste. Les Béatitudes contiennent la «carte d’identité» du chrétien — c’est notre carte d’identité — parce qu’elles définissent le visage de Jésus lui-même, son style de vie.

Maintenant, présentons globalement ces paroles de Jésus; au cours des prochaines catéchèses, nous commenterons chaque Béatitude, une par une.

Avant tout, il est important de savoir comment a lieu la proclamation de ce message: Jésus, en voyant les foules qui le suivent, monte sur la douce pente qui entoure le lac de Galilée, s’assoit et, s’adressant à ses disciples, annonce les Béatitudes. Le message s’adresse donc aux disciples, mais à l’horizon se trouve la foule, c’est-à-dire toute l’humanité. C’est un message pour toute l’humanité.

En outre, la «montagne» renvoie au Sinaï, où Dieu donna les Commandements à Moïse. Jésus commence à enseigner une nouvelle loi: être pauvres, être doux, être miséricordieux... Ces «nouveaux commandements» sont beaucoup plus que des normes. En effet, Jésus n’impose rien, mais dévoile le chemin du bonheur — son chemin — en répétant huit fois le mot «Heureux».

Chaque Béatitude se compose de trois parties. Il y a tout d’abord toujours le mot «heureux»; puis vient la situation dans laquelle se trouvent les bienheureux: la pauvreté d’esprit, l’affliction, la faim et la soif de justice, et ainsi de suite; enfin, il y a le motif de la béatitude, introduit par la conjonction «car»: «Heureux ceux-ci car, heureux ceux-là car...». C’est ainsi que se présentent les huit Béatitudes et il serait beau de les apprendre toutes par cœur et de les répéter, pour avoir précisément à l’esprit et dans le cœur cette loi que nous a donnée Jésus.

Faisons attention à ce fait: le motif de la béatitude n’est pas la situation actuelle, mais la nouvelle condition que les bienheureux reçoivent en don de Dieu: «car le Royaume des Cieux est à eux», «car ils seront consolés», «car ils posséderont la terre» et ainsi de suite.

Dans le troisième élément, qui est précisément le motif du bonheur, Jésus utilise souvent un futur passif: «ils seront consolés», «ils posséderont la terre», «ils seront rassasiés», «ils obtiendront miséricorde», «ils seront appelés fils de Dieu».

Mais que signifie le mot «heureux»? Pourquoi chacune des huit Béatitudes commence-t-elle par le mot «heureux»? Le terme original n’indique pas quelqu’un qui a le ventre plein ou qui a la belle vie, mais c’est une personne qui est dans une condition de grâce, qui progresse dans la grâce de Dieu et qui progresse sur le chemin de Dieu: la patience, la pauvreté, le service aux autres, la consolation... Ceux qui progressent dans ces choses sont heureux et seront bienheureux.

Dieu, pour se donner à nous, choisit souvent des voies impensables, parfois celles de nos limites, de nos larmes, de nos échecs. C’est la joie pascale, dont parlent nos frères orientaux, celle qui a les stigmates mais qui est vivante, a traversé la mort et a fait l’expérience de la puissance de Dieu. Les Béatitudes te conduisent à la joie, toujours; elles sont la voie pour atteindre la joie. Il nous fera du bien aujourd’hui de prendre l’Evangile de Matthieu, chapitre cinq, versets un à onze, et de lire les Béatitudes — peut-être d’autres fois encore pendant la semaine — pour comprendre ce chemin si beau, si sûr du bonheur que le Seigneur nous propose.

 Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (2)

5 Février 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous nous confrontons aujourd’hui avec la première des huit Béatitudes de l’Evangile de Matthieu. Jésus commence à proclamer son chemin pour le bonheur à travers une annonce paradoxale: «Heureux les pauvres en esprit car le Royaume des cieux est à eux» (5, 3). Un chemin surprenant et un étrange objet de béatitude, la pauvreté.

Nous devons nous demander: qu’est-ce qu’on entend ici par «pauvres»? Si Matthieu n’utilisait que ce mot, alors la signification serait simplement économique, c’est-à-dire qu’elle indiquerait les personnes qui ont peu ou aucun moyen de subsistance et qui ont besoin de l’aide des autres.

Mais l’Evangile de Matthieu, à la différence de Luc, parle de «pauvres en esprit». Qu’est-ce que cela veut dire? L’esprit, selon la Bible, est le souffle de la vie que Dieu a communiqué à Adam; c’est notre dimension la plus profonde, disons la dimension spirituelle la plus intime, celle qui fait de nous des personnes humaines, le noyau profond de notre être. Les «pauvres en esprit» sont alors ceux qui sont et qui se sentent pauvres, mendiants, au plus profond de leur être. Jésus les proclame bienheureux, parce c’est à eux qu’appartient le Royaume des cieux.

Combien de fois nous a-t-on dit le contraire! Il faut être quelque chose dans la vie, être quelqu’un... Il faut se faire un nom... C’est de cela que naît la solitude et le fait d’être malheureux: si je dois être «quelqu’un», je suis en compétition avec les autres et je vis dans la préoccupation obsessive pour mon ego. Si je n’accepte pas d’être pauvre, je me mets à haïr tout ce qui me rappelle ma fragilité. Car cette fragilité empêche que je devienne une personne importante, quelqu’un de riche non seulement d’argent, mais de renommée, de tout.

Chacun, face à lui-même, sait bien que, pour autant qu’il se donne du mal, il reste toujours radicalement incomplet et vulnérable. Il n’y pas de méthode pour cacher cette vulnérabilité. Chacun de nous est vulnérable, à l’intérieur. Il doit voir où. Mais combien on vit mal si l’on refuse ses propres limites! On vit mal. On ne digère pas la limite, elle est là. Les personnes orgueilleuses ne demandent pas d’aide, ne peuvent pas demander d’aide, elles n’ont pas le réflexe de demander de l’aide parce qu’elle doivent démontrer qu’elles sont autosuffisantes. Et combien d’entre elles ont besoin d’aide, mais l’orgueil les empêche de demander de l’aide. Et combien il est difficile d’admettre une erreur et de demander pardon! Quand je donne quelques conseils aux jeunes mariés, qui me demandent comment bien conduire leur mariage, je leur dis: «Il y a trois mots magiques: s’il te plaît, merci, excuse-moi». Ce sont des mots qui viennent de la pauvreté d’esprit. Il ne faut pas être envahissants, mais demander la permission: «Est-ce que cela te semble une bonne chose à faire?”, ainsi il y a un dialogue en famille, le mari et la femme dialoguent. «Tu as fait cela pour moi, merci, j’en avais besoin». Ensuite, on commet toujours des erreurs, on dérape: «Excuse-moi». Et généralement les couples, les nouveaux mariés, ceux qui sont ici nombreux, me disent: «La troisième est la plus difficile», s’excuser, demander pardon. Car l’orgueilleux n’y arrive pas. Il ne peut pas s’excuser: il a toujours raison. Il n’est pas pauvre en esprit. En revanche, le Seigneur ne se lasse jamais de pardonner; c’est malheureusement nous qui nous lassons de demander pardon (cf. Angelus 17 mars 2013). La lassitude de demander pardon: voilà une vilaine maladie!

Pourquoi est-il difficile de demander pardon? Parce que cela humilie notre image hypocrite. Pourtant, vivre en cherchant à cacher ses propres carences est fatiguant et angoissant. Jésus Christ nous dit: être pauvres est une occasion de grâce; et il nous montre l’issue de cette fatigue. Il nous est donné d’être pauvres en esprit, parce que c’est la route du Royaume de Dieu.

Mais il faut réaffirmer une chose fondamentale: nous ne devons pas nous transformer pour devenir pauvres en esprit, nous ne devons accomplir aucune transformation parce que nous le sommes déjà! Nous sommes pauvres… ou pour le dire plus clairement: nous sommes des «malheureux» en esprit! Nous avons besoin de tout. Nous sommes tous pauvres en esprit, nous sommes mendiants. C’est la condition humaine.

Le Royaume de Dieu appartient aux pauvres en esprit. Il y a ceux qui ont les royaumes de ce monde: ils ont des biens et le confort. Mais ce sont des royaumes qui finissent. Le pouvoir des hommes, même les empires les plus grands, passent et disparaissent. Très souvent, nous voyons au journal télévisé ou dans les journaux, que ce gouvernant fort, puissant, ou que ce gouvernement qui régnait hier n’est plus là aujourd’hui, il est tombé. Les richesses de ce monde s’en vont, et l’argent aussi. Les personnes âgées nous enseignaient qu’un suaire n’a pas de poches. C’est vrai. Je n’ai jamais vu un camion de déménagement suivre un cortège funèbre: personne n’emporte rien. Ces richesses restent ici.

Le Royaume de Dieu appartient aux pauvres en esprit. Il y a ceux qui ont des royaumes de ce monde, ils ont des biens et ils ont le confort. Mais nous savons comment ils finissent. Celui qui sait aimer le vrai bien, plus que lui-même, règne vraiment. Tel est le pouvoir de Dieu.

En quoi le Christ s’est-il montré puissant? Parce qu’il a su faire ce que les rois de la terre ne font pas: donner sa vie pour les hommes. Et cela est le vrai pouvoir. Le pouvoir de la fraternité, le pouvoir de la charité, le pouvoir de l’amour, le pouvoir de l’humilité. C’est ce qu’a fait le Christ.

En cela réside la vraie liberté: celui qui a ce pouvoir de l’humilité, du service, de la fraternité est libre. La pauvreté louée par les Béatitudes se trouve au service de cette liberté.

Parce qu’il y a une pauvreté que nous devons accepter, celle de notre être, et une pauvreté que nous devons en revanche chercher, celle concrète, des choses de ce monde, pour être libres et pouvoir aimer. Nous devons toujours chercher la liberté du cœur, celle qui a ses racines dans notre pauvreté à nous.

 

 

 Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (3)

12 Février 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous avons entrepris le voyage des Béatitudes et aujourd’hui, nous nous arrêtons sur la deuxième: Heureux les affligés, car ils seront consolés.

Dans la langue grecque dans laquelle est écrit l’Evangile, cette béatitude est exprimée par un verbe qui n’est pas au passif — en effet, les bienheureux ne subissent pas ces larmes — mais à l’actif: «ils s’affligent»; ils pleurent, mais de l’intérieur. Il s’agit d’une attitude qui est devenue centrale dans la spiritualité chrétienne et que les pères du désert, les premiers moines de l’histoire, appelaient «penthos», c’est-à-dire une douleur intérieure qui ouvre à une relation avec le Seigneur et avec le prochain; à une relation renouvelée avec le Seigneur et avec son prochain.

Ces pleurs, dans les Ecritures, peuvent revêtir deux aspects: le premier est pour la mort ou la souffrance de quelqu’un. L’autre aspect sont les larmes pour le péché — pour son propre péché — quand le cœur saigne à cause de la douleur d’avoir offensé Dieu et son prochain.

Il s’agit donc d’aimer l’autre de telle manière que l’on se lie à lui ou à elle jusqu’à partager sa douleur. Il y a des personnes qui restent distantes, un pas en arrière; au contraire, il est important que les autres ouvrent une brèche dans notre cœur.

J’ai souvent parlé du don des larmes, et de combien il est précieux. (cf. Exhort. ap. post-syn. Christus vivit, n. 76; Discours aux jeunes de l’université Saint-Thomas, Manille, 18 janvier 2015; Homélie lors du mercredi des cendres, 18 février 2015). Peut-on aimer de manière froide? Peut-on aimer par fonction, par devoir? Certainement pas. Il y a des affligés à consoler, mais parfois, il y a aussi des consolés à affliger, à réveiller, qui ont un cœur de pierre et qui ont oublié comment pleurer. Il faut aussi réveiller les gens qui ne savent pas s’émouvoir de la douleur d’autrui.

Le deuil, par exemple, est un chemin amer, mais il peut être utile pour ouvrir les yeux sur la vie et sur la valeur sacrée et irremplaçable de toute personne, et à ce moment-là, on se rend compte de combien le temps est bref.

Il y a une deuxième signification de cette béatitude paradoxale: pleurer à cause du péché.

Ici, il faut faire la distinction: il y a ceux qui se fâchent parce qu’ils ont commis une erreur. Mais cela est de l’orgueil. Au contraire, il y a ceux qui pleurent en raison du mal commis, du bien omis, de la trahison de la relation avec Dieu. Ce sont les pleurs pour n’avoir pas aimé, qui découle du fait que la vie des autres nous tient à cœur. Ici, on pleure parce que l’on ne correspond pas au Seigneur qui nous aime tant, et la pensée du bien qui n’a pas été fait nous attriste; c’est le sens du péché. Ceux-là disent: «J’ai blessé celui que j’aime», et cela les attriste jusqu’aux larmes. Dieu soit béni si ces larmes arrivent!

Tel est le thème, difficile mais vital, des erreurs personnelles à affronter. Pensons aux pleurs de saint Pierre, qui le conduira à un amour nouveau et beaucoup plus vrai: ce sont des pleurs qui purifient, qui renouvellent. A la différence de Judas, qui n’accepta pas de s’être trompé, et qui, le pauvre, se suicida. Comprendre le péché est un don de Dieu, est une œuvre de l’Esprit Saint. Seuls, nous ne pouvons pas comprendre le péché. C’est une grâce que nous devons demander. Seigneur, que je comprenne le mal que j’ai fait ou que je peux faire. Cela est un don très grand, et après avoir compris cela, viennent les pleurs du repentir.

L’un des premiers moines, Ephrem le Syrien, dit qu’un visage lavé par les larmes est indiciblement beau (cf. Discours ascétique). La beauté du repentir, la beauté des pleurs, la beauté de la contrition! Comme toujours, la vie chrétienne trouve sa meilleure expression dans la miséricorde. Sage et heureux est celui qui accueille la douleur liée à l’amour, parce qu’il recevra la consolation de l’Esprit Saint qui est la tendresse de Dieu qui pardonne et corrige. Dieu pardonne toujours: n’oublions pas cela. Dieu pardonne toujours, même les péchés les plus laids, toujours. Le problème est en nous, qui nous lassons de demander pardon, nous nous refermons en nous-mêmes et nous ne demandons pas pardon. Voilà le problème; mais Lui est là pour pardonner.

Si nous gardons toujours à l’esprit que Dieu «ne nous traite pas selon nos fautes, ne nous rend pas selon nos offenses» (Ps 103, 10), nous vivons dans la miséricorde et dans la compassion, et l’amour apparaît en nous. Que le Seigneur nous accorde d’aimer en abondance, d’aimer avec le sourire, avec la proximité, avec le service et aussi avec les larmes.

 

Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (4)

19 Février 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Dans la catéchèse d’aujourd’hui, nous affrontons la troisième des huit béatitudes de l’Evangile de Matthieu: «Heureux les doux, car ils recevront la terre en héritage» (Mt 5, 5).

Le terme «doux» ici utilisé signifie littéralement doux, docile, gentil, sans violence. La douceur se manifeste dans les moments de conflit, elle se voit à la manière dont on réagit face à une situation hostile. N’importe qui pourrait sembler doux quand tout est tranquille, mais comment cette personne réagit-elle «sous pression», si elle est attaquée, offensée, agressée?

Dans un passage, saint Paul rappelle «la douceur et la mansuétude du Christ» (2 Co 10, 1). Et saint Pierre rappelle à son tour l’attitude de Jésus pendant la Passion: il ne répondait pas et ne menaçait pas, car il «s’en remettait à Celui qui juge avec justice» (1 P 2, 23). Et la douceur de Jésus se voit beaucoup pendant sa Passion.

Dans l’Ecriture, le terme «doux» indique également celui qui n’a pas de propriétés terrestres; nous sommes donc frappés par le fait que la troisième béatitude dise précisément que les doux «recevront la terre en héritage».

En réalité, cette béatitude cite le Psaume 37, que nous avons écouté au début de la catéchèse. Là aussi, la douceur et la possession de la terre sont mises en relation. Si l’on y pense bien, ces deux choses semblent incompatibles. En effet, la possession de la terre et le domaine propre au conflit: on combat souvent pour un territoire, pour obtenir l’hégémonie sur une zone donnée. Dans les guerres, le plus fort prévaut et conquiert d’autres terres.

Mais observons bien le verbe utilisé pour indiquer la possession des doux: ceux-ci ne conquièrent pas la terre; il n’est pas dit «heureux les doux parce qu’ils conquerront la terre». Ils en «héritent». Heureux les doux, parce qu’ils «hériteront» la terre. Dans les Ecritures, le verbe «hériter» a un sens encore plus vaste. Le peuple de Dieu appelle précisément «héritage» la terre d’Israël qui est la Terre de la Promesse.

Cette terre est une promesse et un don pour le peuple de Dieu, et elle devient le signe de quelque chose de beaucoup plus grand qu’un simple territoire. Il y a une «terre» — permettez-moi le jeu de mots — qui est le Ciel, c’est-à-dire la terre vers laquelle nous marchons: les nouveaux cieux et la nouvelle terre vers laquelle nous allons (cf. Is 65, 17; 66, 22; 2 P 3, 13; Ap 21, 1).

Alors, le doux est celui qui «hérite» le plus sublime des territoires. Ce n’est pas un lâche, un «mou» qui se trouve une morale de repli pour rester en dehors des problèmes. Pas du tout! C’est une personne qui a reçu un héritage et ne veut pas le disperser. Le doux n’est pas quelqu’un d’accommodant, mais il est le disciple du Christ qui a appris à défendre une toute autre terre. Il défend sa paix, il défend sa relation avec Dieu, il défend ses dons, les dons de Dieu, en préservant la miséricorde, la fraternité, la confiance, l’espérance. Car les personnes douces sont des personnes miséricordieuses, fraternelles, confiantes et des personnes qui ont de l’espérance.

Nous devons ici mentionner le péché de la colère, un mouvement violent dont nous connaissons tous l’impulsion. Qui ne s’est pas mis en colère quelquefois? Personne. Nous devons inverser la béatitude et nous poser une question: combien de choses avons-nous détruites par la colère? Combien de choses avons-nous perdues? Un moment de colère peut détruire beaucoup de choses; on perd le contrôle et on n’évalue pas ce qui est vraiment important, et on peut détériorer parfois de manière irrémédiable la relation avec un frère, parfois sans remède. A cause de la colère, beaucoup de frères ne se parlent plus, ils s’éloignent l’un de l’autre. C’est le contraire de la douceur. La douceur rassemble, la colère divise.

La douceur est la conquête de tant de choses. La douceur est capable de vaincre le cœur, de sauver les amitiés, et tant d’autres choses, car les personnes se mettent en colère, mais ensuite elles se calment, elles réfléchissent et reviennent sur leurs pas; ainsi on peut reconstruire avec la douceur.

La «terre» à conquérir par la douceur est le salut de ce frère dont parle l’Evangile de Matthieu: «S’il t’écoute, tu auras gagné ton frère» (Mt 18, 15). Il n’y a pas de terre plus belle que le cœur d’autrui, il n’y a pas de territoire plus beau à gagner que la paix retrouvée avec un frère. Et il s’agit là de la terre à hériter par la douceur!

 Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (5)

11 Mars 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Au cours de l’audience d’aujourd’hui, nous continuons à méditer sur la voie lumineuse du bonheur que le Seigneur nous a donnée dans les Béatitudes, et nous arrivons à la quatrième: «Heureux les affamés et assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés» (Mt 5, 6).

Nous avons déjà rencontré la pauvreté d’esprit et les larmes; à présent, nous affrontons un autre type de faiblesse, celle liée à la faim et à la soif. Faim et soif sont des besoins primaires, qui concernent la survie. Cela doit être souligné: il ne s’agit pas ici d’un désir générique, mais d’une exigence vitale et quotidienne, comme la nourriture.

Mais que signifie avoir faim et soif de justice? Il n’est bien sûr pas question ici de ceux qui cherchent une vengeance, au contraire, dans la béatitude précédente, nous avons parlé de douceur. Certes, les injustices blessent l’humanité; la société humaine a un besoin urgent d’équité, de vérité et de justice sociale; rappelons que le mal subi par les femmes et les hommes du monde arrive jusqu’au cœur de Dieu le Père. Quel père ne souffrirait-il pas pour la douleur de ses enfants?

Les Ecritures parlent de la douleur des pauvres et des opprimés que Dieu connaît et partage. Pour avoir écouté le cri d’oppression élevé par les enfants d’Israël — comme le raconte le livre de l’Exode (cf. 3, 7-10) — Dieu est descendu libérer son peuple. Mais la faim et la soif de justice dont parle le Seigneur est encore plus profonde que le besoin légitime de justice humaine que chaque homme porte dans son cœur.

Dans le même «discours sur la montagne», un peu plus loin, Jésus parle d’une justice plus grande que le droit humain ou que la perfection personnelle, en disant: «Si votre justice ne surpasse pas celle des scribes et des Pharisiens, vous n’entrerez pas dans le Royaume des Cieux» (Mt 5, 20). Et cette justice est la justice qui vient de Dieu (cf. 1 Co 1, 30).

Dans les Ecritures, nous trouvons exprimée une soif plus profonde que celle physique, qui est un désir placé à la racine de notre être. Un psaume dit: «Dieu, c’est toi mon Dieu, je te cherche, mon âme a soif de toi, après toi languit ma chair, terre sèche, altérée, sans eau» (Ps 63, 2). Les Pères de l’Eglise parlent de cette inquiétude féconde qui habite le cœur de l’homme. Saint Augustin dit: «Tu nous as faits pour toi Seigneur et notre cœur est sans repos tant qu’il ne repose pas en toi» (Les confessions, 1, 1.5). Il existe une soif intérieure, une faim intérieure, une inquiétude...

Dans chaque cœur, même de la personne la plus corrompue et éloignée du bien, est caché un désir de lumière, même s’il se trouve sous des décombres de tromperies et d’erreurs, mais il y a toujours la soif de vérité et de bien, qui est la soif de Dieu. C’est l’Esprit Saint qui suscite cette soif: c’est Lui l’eau vive qui a façonné notre poussière, c’est Lui le souffle créateur qui lui a donné vie.

Pour cela, l’Eglise est envoyée pour annoncer à tous la Parole de Dieu, imprégnée d’Esprit Saint. Parce que l’Evangile de Jésus Christ est la plus grande justice qui puisse être offerte au cœur de l’humanité, même si elle ne s’en rend pas compte (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2017: «La grâce du Saint-Esprit nous confère la justice de Dieu. En nous unissant par la foi et le baptême à la Passion et à la Résurrection du Christ, l’Esprit nous fait participer à sa vie»).

Par exemple, quand un homme et une femme se marient, ils ont l’intention de faire quelque chose de grand et de beau, et s’ils conservent cette soif vivante, ils trouveront toujours la voie pour aller de l’avant, dans les problèmes, avec l’aide de la Grâce. Les jeunes ont eux aussi cette faim, et ils ne doivent pas la perdre! Il faut protéger et nourrir dans le cœur des enfants ce désir d’amour, de tendresse, d’accueil qu’ils expriment dans leurs élans sincères et lumineux.

Chaque personne est appelée à redécouvrir ce qui compte vraiment, ce qui fait bien vivre et, dans le même temps, ce qui est secondaire, et ce dont on peut facilement se passer.

Jésus annonce dans cette béatitude — faim et soif de justice — qu’il y a une soif qui ne sera jamais déçue; une soif qui, si on y répond, sera étanchée et qui aura toujours une heureuse issue, parce qu’elle correspond au cœur même de Dieu, à son Esprit Saint qui est amour, et également à la semence que l’Esprit Saint a semée dans nos cœurs. Que le Seigneur nous donne cette grâce: d’avoir cette soif de justice qui est précisément la volonté de le trouver, de voir Dieu et de faire du bien aux autres.

 

Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (6)

18 Mars 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous nous arrêtons aujourd’hui sur la cinquième béatitude, qui dit: «Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde» (Mt 5, 7). Dans cette béatitude, il y a une particularité: c’est la seule où la cause et le fruit du bonheur coïncident, la miséricorde. Ceux qui exercent la miséricorde obtiendront miséricorde, ils seront «objets de miséricorde».

Ce thème de la réciprocité du pardon n’est pas seulement présent dans cette béatitude, mais il est récurrent dans l’Evangile. Et comment pourrait-il en être autrement? La miséricorde est le cœur même de Dieu! Jésus dit: «Ne jugez pas et vous ne serez pas jugés; ne condamnez-pas et vous ne serez pas condamnés; remettez et il vous sera remis» (Lc 6, 37). Toujours la même réciprocité. Et la Lettre de Jacques affirme que «la miséricorde se rit du jugement» (2, 13).

Mais c’est surtout dans le Notre-Père que nous récitons: «Remets-nous nos dettes comme nous-mêmes avons remis à nos débiteurs» (Mt 6, 12); et cette requête est la seule qui soit reprise à la fin: «Si vous pardonnez aux hommes leurs manquements, votre Père céleste vous pardonnera aussi; mais si vous ne pardonnez pas aux hommes, votre Père non plus ne vous pardonnera pas vos manquements» (Mt 6, 14-15; cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2838).

Il y a deux choses que l’on ne peut pas séparer: le pardon donné et le pardon reçu. Mais beaucoup de personnes sont en difficulté, elles ne réussissent pas à pardonner. Très souvent, le mal reçu est si grand que réussir à pardonner semble comme escalader une très haute montagne: un effort immense ; et la personne pense: c’est impossible, cela est impossible. Ce fait de la réciprocité de la miséricorde indique que nous avons besoin de renverser la perspective. Tout seuls, nous ne pouvons pas, la grâce de Dieu est nécessaire, nous devons la demander. En effet, si la cinquième béatitude promet de trouver miséricorde et que dans le Notre-Père nous demandons la rémissions de nos dettes, cela veut dire que nous sommes essentiellement des débiteurs et que nous avons besoin de trouver miséricorde!

Nous sommes tous débiteurs. Tous. Envers Dieu, qui est si généreux, et envers nos frères. Chaque personne sait qu’elle n’est pas le père ou la mère qu’elle devrait être, l’époux ou l’épouse, le frère ou la sœur qu’elle devrait être. Nous sommes tous «en déficit» dans la vie. Et nous avons besoin de miséricorde. Nous savons que, nous aussi, nous avons fait du mal, il manque toujours quelque chose au bien que nous aurions dû faire.

Mais c’est précisément notre pauvreté qui devient la force pour pardonner! Nous sommes débiteurs et si, comme nous l’avons entendu au début, nous serons mesurés selon la mesure avec laquelle nous mesurons les autres (cf. Lc 6, 38), alors nous devons élargir cette mesure et remettre les dettes, pardonner. Chacun doit se rappeler qu’il a besoin de pardonner, qu’il a besoin du pardon, qu’il a besoin de la patience; tel est le secret de la miséricorde: en pardonnant, on est pardonné. C’est pourquoi Dieu nous précède et qu’Il nous pardonne le premier (cf. Rm 5, 8). En recevant son pardon, nous devenons capables à notre tour de pardonner. Ainsi, notre misère et notre manque de justice deviennent l’occasion de s’ouvrir au royaume des cieux, à une mesure plus grande, la mesure de Dieu, qui est miséricorde.

D’où naît notre miséricorde? Jésus nous a dit: «Montrez-vous miséricordieux, comme votre Père est miséricordieux» (Lc 6, 36). Plus on accueille l’amour du Père, plus on aime (cf. CEC, n. 2842). La miséricorde n’est pas une dimension parmi les autres, mais elle est le centre de la vie chrétienne: il n’y a pas de christianisme sans miséricorde (cf. Saint Jean-Paul II, Enc. Dives in misericordia du 30 novembre 1980; Bulle Misericordae Vultus du 11 avril 2015; Lett. ap. Misericordia et misera du 20 novembre 2016). Si tout notre christianisme ne nous conduit pas à la miséricorde, nous nous sommes trompés de route, car la miséricorde est le seul objectif véritable de tout chemin spirituel. Elle est l’un des plus beaux fruits de la charité (cf. CEC, n. 1829).

Je me rappelle que ce thème a été choisi dès le premier Angelus que j’ai dû réciter comme Pape: la miséricorde. Et cela est resté profondément imprimé en moi, comme un message qu’en tant que Pape j’aurais toujours dû communiquer, un message qui doit être quotidien: la miséricorde. Je me rappelle que ce jour-là, j’ai également eu l’attitude un peu «effrontée» de faire de la publicité à un livre sur la miséricorde, qui venait d’être publié par le cardinal Kasper. Et ce jour-là, j’ai ressenti avec une grande force que c’est le message que je dois communiquer, en tant qu’Evêque de Rome: miséricorde, miséricorde, s’il vous plaît, pardon.

La miséricorde de Dieu est notre libération et notre bonheur. Nous vivons de miséricorde et nous ne pouvons pas nous permettre d’être sans miséricorde : c’est l’air que nous devons respirer. Nous sommes trop pauvres pour poser des conditions, nous avons besoin de pardonner, parce que nous avons besoin d’être pardonnés. Merci !

 Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (7)

1er avril 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

Nous lisons aujourd’hui ensemble la sixième béatitude, qui promet la vision de Dieu et qui a comme condition la pureté du cœur.

Un Psaume dit: «De toi mon cœur a dit: “Cherche sa face”. C’est ta face, Yahvé, que je cherche, ne me cache point ta face» (27, 8-9).

Ce langage manifeste la soif d’une relation personnelle avec Dieu, pas mécanique, pas un peu nébuleuse, non: personnelle, que le livre de Job exprime également comme le signe d’une relation sincère. Le livre de Job dit ainsi: «Je ne te connaissais que par ouï-dire, mais maintenant mes yeux t’ont vu» (Jb 42, 5). Et très souvent je pense que c’est le chemin de la vie, dans nos relations avec Dieu. Nous connaissons Dieu par ouï-dire, mais avec notre expérience nous allons de l’avant, de l’avant, de l’avant et, à la fin, nous le connaissons directement, si nous sommes fidèles… Et cela est la maturité de l’Esprit.

Comment arriver à cette intimité, à connaître Dieu avec les yeux? On peut penser aux disciples d’Emmaüs, par exemple, qui ont le Seigneur Jésus à côté d’eux, «mais leurs yeux étaient empêchés de le reconnaître» (Lc 24, 16). Le Seigneur ouvrira leur regard au terme d’un chemin qui atteint son sommet dans la fraction du pain et qui avait commencé par un reproche: «Cœurs sans intelligence, lents à croire tout ce qu’ont annoncé les prophètes» (cf. Lc 24, 25). C’est le reproche du début. Voilà l’origine de leur cécité: leur cœur sans intelligence et lent. Et quand le cœur est sans intelligence et lent, on ne voit pas les choses. On voit les choses comme embrumées. C’est là que se trouve la sagesse de cette béatitude: pour pouvoir contempler, il est nécessaire de rentrer en nous et de laisser place à Dieu, car, comme le dit saint Augustin, «Dieu m’est plus intime que moi-même» («interior intimo meo»: Confessions, iii, 6, 11). Pour voir Dieu, il n’y a pas besoin de changer de lunettes ou de point d’observation, ou de changer les auteurs théologiens qui enseignent le chemin: il faut libérer le cœur de ses tromperies! C’est la seule route.

C’est une maturation décisive: lorsque nous nous rendons compte que, souvent, notre pire ennemi est caché dans notre cœur. La bataille la plus noble est celle contre les tromperies intérieures qui engendrent nos péchés. Car les péchés changent la vision intérieure, ils changent l’évaluation des choses, ils font voir des choses qui ne sont pas vraies, ou tout au moins qui ne sont pas aussi vraies.

Il est donc important de comprendre ce qu’est la «pureté du cœur». Pour le faire, il faut rappeler que pour la Bible, le cœur ne consiste pas seulement dans les sentiments, mais qu’il est le lieu le plus intime de l’être humain, l’espace intérieur ou une personne est elle-même. Cela, selon la mentalité biblique.

L’Evangile de Matthieu dit: «Si donc lalumière qui est en toi est ténèbres, quelles ténèbres ce sera!» (6, 23). Cette «lumière» est le regard du cœur, la perspective, la synthèse, le point à partir duquel on lit la réalité (cf. Exhort. ap. Evangelii gaudium, n. 143).

Mais que veut dire un cœur «pur»? Celui qui a un cœur pur vit en présence du Seigneur, en conservant dans son cœur ce qui est digne de la relation avec Lui; ce n’est qu’ainsi qu’il possède une vie «unifiée», linéaire, qui n’est pas tortueuse mais simple.

Le cœur purifié est donc le résultat d’un processus qui implique une libération et un renoncement. Le pur de cœur ne naît pas tel, il a vécu une simplification intérieure, en apprenant à renier le mal en lui, une chose qui dans la Bible est appelée la circoncision du cœur (cf. Dt 10, 16; 30, 6; Ez 44, 9; Jr 4, 4).

Cette purification intérieure implique la reconnaissance de cette partie du cœur qui est sous l’influence du mal — «Vous savez, Père, je sens ainsi, je pense ainsi, je vois ainsi, et c’est laid»: reconnaître la partie laide, la partie qui est embrumée par le mal — pour apprendre l’art de se laisser toujours enseigner et conduire par l’Esprit Saint. Le chemin du cœur malade, du cœur pécheur, du cœur qui ne peut pas bien voir les choses, parce qu’il est dans le péché, est l’œuvre de l’Esprit Saint qui conduit à la plénitude de la lumière du cœur. C’est lui qui nous guide pour accomplir ce chemin. Voilà, à travers ce chemin du cœur, nous arrivons à «voir Dieu».

Dans cette vision béatifique, il y a une dimension future, eschatologique, comme dans toutes les Béatitudes: c’est la joie du Royaume des cieux vers lequel nous allons. Mais il y a aussi l’autre dimension: voir Dieu signifie comprendre les desseins de la Providence dans ce qui nous arrive, reconnaître sa présence dans les sacrements, sa présence dans nos frères, en particulier pauvres et qui souffrent, et le reconnaître là où Il se manifeste (cf. Catéchisme de l’Eglise catholique, n. 2519).

Cette béatitude est un peu le fruit des précédentes: si nous avons écouté la soif de bien qui nous habite et que nous sommes conscients de vivre de miséricorde, un chemin de libération commence qui dure toute la vie et qui conduit jusqu’au Ciel. C’est un travail sérieux, un travail que fait l’Esprit Saint si nous lui laissons place pour qu’il le fasse, si nous sommes ouverts à l’action de l’Esprit Saint. C’est pourquoi nous pouvons dire que c’est une œuvre de Dieu en nous — dans les épreuves et dans les purifications de la vie — et cette œuvre de Dieu et de l’Esprit Saint conduit à une grande joie, à une vraie paix. N’ayons pas peur, ouvrons les portes de notre cœur à l’Esprit Saint pour qu’il nous purifie et nous fasse avancer sur ce chemin vers la joie en plénitude.

 

Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (8)

15 Avril 2020

 

 

Chers frères et sœurs, bonjour!

La catéchèse d’aujourd’hui est consacrée à la septième béatitude, celle des «artisans de paix», qui sont proclamés fils de Dieu. Je me réjouis qu’elle arrive immédiatement après la Passion, parce que la paix du Christ est fruit de sa mort et de sa résurrection, comme nous l’avons écouté dans la lecture de saint Paul. Pour comprendre cette béatitude, il faut expliquer le sens du mot «paix», qui peut être mal compris ou parfois banalisé.

Nous devons nous orienter entre deux idées de paix: la première est celle biblique, où apparaît le très beau terme shalòm, qui exprime l’abondance, la prospérité, le bien-être. Quand en hébreu on souhaite shalòm on souhaite une vie belle, pleine, prospère, mais également selon la vérité et la justice, qui s’accompliront dans le Messie, prince de la paix (cf. Is 9, 6; Mi 5, 4-5).

Il y a également l’autre sens, plus courant, dans lequel le mot «paix» est entendu comme une sorte de tranquillité intérieure: je suis tranquille, je suis en paix. C’est une idée moderne, psychologique et plus subjective. On pense communément que la paix est le calme, l’harmonie, l’équilibre intérieur. Cette acception du mot «paix» est incomplète et ne peut être absolutisée, parce que dans la vie, l’inquiétude peut être un moment important de croissance. Très souvent, c’est le Seigneur lui-même qui sème en nous l’inquiétude pour aller à sa rencontre, pour le trouver. Dans ce sens, c’est un moment important de croissance; alors qu’il peut arriver que la tranquillité intérieure corresponde à une conscience apprivoisée et non pas à une véritable rédemption. Très souvent, le Seigneur doit être un «signe de contradiction» (cf. Lc 2, 34-35), secouant nos fausses certitudes, pour nous conduire au salut. Et à ce moment, il nous semble ne pas avoir de paix, mais c’est le Seigneur qui nous place sur cette voie pour arriver à la paix que lui-même nous donnera.

Nous devons alors nous rappeler que la façon dont le Seigneur entend sa paix est différente de celle humaine, celle du monde, quand il dit: «Je vous laisse la paix; c’est ma paix que je vous donne; je ne vous la donne pas comme le monde la donne» (Jn 14, 27). La paix de Jésus est une autre paix, différente de celle du monde.

Demandons-nous: comment le monde nous donne-t-il la paix? Si nous pensons aux conflits belliqueux, les guerres se terminent, normalement de deux façons: soit par la défaite de l’une des parties, soit par des traités de paix. Nous ne pouvons que souhaiter et prier que l’on entreprenne toujours cette seconde voie; mais nous devons considérer que l’histoire est une série infinie de traités de paix démentis par les guerres successives, ou par la métamorphose de ces mêmes guerres en d’autres façons ou en d’autres lieux. A notre époque également, une guerre «par morceaux» est combattue dans plusieurs contextes et selon diverses modalités (cf. Homélie au cimetière militaire de Redipuglia, 13 septembre 2014; Homélie à Sarajevo, 6 juin 2015; Discours au Conseil pontifical pour l’interprétation des textes législatifs, 21 février 2020). Nous devons tout au moins suspecter que dans le cadre d’une mondialisation faite avant tout d’intérêts économiques ou financiers, la «paix» de certains correspond à la «guerre» d’autres. Et cela n’est pas la paix du Christ!

Au contraire, comment le Seigneur Jésus «donne-t-il» sa paix? Nous avons entendu saint Paul dire que la paix du Christ est «de deux, n’en faire qu’un» (cf. Ep 2, 14), annuler l’inimitié et réconcilier. Et la voie pour accomplir cette œuvre de paix est son corps. En effet, il réconcilie toutes les choses et établit la paix par le sang de sa croix, comme le dit ailleurs l’apôtre lui-même (cf. Col 1, 20).

Je me demande alors, et nous pouvons tous nous demander: qui sont donc les «artisans de paix»? La septième béatitude est la plus active, explicitement dynamique; l’expression verbale est analogue à celle utilisée dans le premier verset de la Bible pour la création et indique initiative et zèle. L’amour de par sa nature est créatif — l’amour est toujours créatif — et cherche la réconciliation à tout prix. Sont appelés fils de Dieu ceux qui ont appris l’art de la paix et qui l’exercent, qui savent qu’il n’y a pas de réconciliation sans don de sa vie, et que la paix doit être recherchée toujours et partout. Toujours et partout: rappelez-vous en! Elle doit être cherchée ainsi. Ce n’est pas un travail autonome, fruit de nos propres capacités, c’est la manifestation de la grâce reçue par le Christ, qui est notre paix, qui a fait de nous des fils de Dieu.

Le véritable shalòm et le véritable équilibre intérieur découlent de la paix du Christ, qui vient de sa Croix et génère une humanité nouvelle, incarnée par une foule infinie de saints et de saintes, inventifs, créatifs, qui ont cherché des voies nouvelles pour aimer. Les saints, les saintes, qui construisent la paix: cette vie en tant que fils de Dieu, qui pour le sang du Christ, fait qu’ils cherchent et retrouvent leurs propres frères, est le véritable bonheur. Bienheureux ceux qui empruntent cette voie.

Et de nouveau bonnes Pâques à tous, dans la paix du Christ!

 

Catéchèse du pape François sur les Béatitudes (9)

29 Avril 2020

 

 Chers frères et soeurs, bonjour !

 

Avec l’audience d’aujourd’hui, nous concluons le parcours sur les Béatitudes évangéliques. Comme nous l’avons entendu, la dernière proclame la joie eschatologique de ceux qui sont persécutés pour la justice.

 

Cette béatitude annonce le même bonheur que la première : le Royaume des Cieux appartient aux persécutés, comme aux pauvres en esprit ; ainsi nous comprenons que nous sommes parvenus au terme d’un parcours unitaire qui s’est déroulé dans les annonces précédentes.

La pauvreté en esprit, les pleurs, la douceur, la soif de sainteté, la miséricorde, la purification du coeur et les oeuvres de paix peuvent conduire à la persécution à cause du Christ, mais cette persécution est finalement cause de joie et de grande récompense dans les cieux. Le sentier des Béatitudes est un chemin pascal qui conduit d’une vie selon le monde à une vie selon Dieu, d’une existence guidée par la chair – c’est-à-dire par l’égoïsme – à une existence guidée par l’Esprit.

Le monde, avec ses idoles, ses compromis et ses priorités, ne peut approuver ce type d’existence. Les « structures de péché » (1), souvent produites par la mentalité humaine, si étrangères à l’Esprit de vérité que le monde ne peut pas recevoir (cf. Jn 14,17), ne peuvent que refuser la pauvreté ou la douceur ou la pureté et déclarer que la vie selon l’Évangile est une erreur et un problème, par conséquent quelque chose qu’il faut marginaliser. Le monde pense ceci : « Ce sont des idéalistes ou des fanatiques… ». C’est ce qu’ils pensent.

 

Si le monde vit en fonction de l’argent, quiconque démontre que la vie peut se réaliser dans le don et dans le renoncement devient une gêne pour le système de l’avidité. Ce mot « gêne » est un mot-clé, parce que le seul témoignage chrétien, qui fait tant de bien à tant de monde qui le suit, gêne ceux qui ont une mentalité mondaine. Ils vivent cela comme un reproche. Quand apparaît la sainteté et qu’émerge la vie des enfants de Dieu, il y a dans cette beauté quelque chose qui dérange et qui invite à une prise de position : soit accepter de se remettre en cause et de s’ouvrir au bien soit refuser cette lumière et endurcir son coeur, y compris jusqu’à l’opposition et l’acharnement (cf. Sg 2, 14-15). C’est curieux, il est frappant de voir combien, dans les persécutions des martyrs, l’hostilité grandit jusqu’à l’acharnement. Il suffit de voir les persécutions du siècle dernier, des dictatures européennes : comment on en arrive à l’acharnement contre les chrétiens et contre l’héroïcité des chrétiens.

 

Mais cela montre que le drame de la persécution est aussi le lieu de la libération de l’assujettissement au succès, à la vaine gloire et aux compromis du monde. De quoi se réjouit celui qui est refusé par le monde à cause du Christ ? Il se réjouit d’avoir trouvé quelque chose qui vaut plus que le monde entier. « Quel avantage, en effet, un homme a-t-il à gagner le monde entier si c’est au prix de sa vie ? » (Mc 8,36). Quel avantage y a-t-il ?

 

Il est douloureux de se souvenir qu’en ce moment de nombreux chrétiens subissent des persécutions dans différentes zones du monde et nous devons espérer et prier afin que soit mis fin à leur tribulation le plus tôt possible. Ils sont nombreux : les martyrs d’aujourd’hui sont plus nombreux que ceux des premiers siècles. Exprimons notre proximité  à ces frères et soeurs : nous sommes un unique corps et ces chrétiens sont les membres sanglants du corps du Christ qu’est l’Église.

 

Mais nous devons rester attentifs à ne pas lire non plus cette béatitude dans une perspective victimiste, d’auto-commisération. En effet, le mépris des hommes n’est pas toujours synonyme de persécution : justement, peu de temps après, Jésus dit que les chrétiens sont le « sel de la terre », et il met en garde contre le danger de « perdre sa saveur », sinon le sel « ne vaut plus rien : on le jette dehors et il est piétiné par les gens » (Mt 5,13). Il y a donc également un mépris qui vient de notre faute, quand nous perdons la saveur du Christ et de l’Évangile.

 

Il faut être fidèles à l’humble sentier des Béatitudes, parce c’est celui qui conduit à appartenir au Christ et non au monde. Cela vaut la peine de se souvenir du parcours de saint Paul : quand il pensait être un juste, en fait, il était un persécuteur, mais quand il a découvert qu’il était un persécuteur, il est devenu un homme d’amour, affrontant joyeusement les souffrances de la persécution qu’il subissait (cf. Col 1,24).

 

L’exclusion et la persécution, si Dieu nous en accorde la grâce, nous font ressembler au Christ crucifié et, en nous associant à sa passion, elles sont la manifestation de la vie nouvelle. Cette vie est celle du Christ qui, pour nous les hommes et pour notre salut, fut « méprisé et rejeté par les hommes » (cf. Is 53,3 ; Ac 8, 30-35). Accueillir son Esprit peut nous conduire à avoir assez d’amour dans le cœur pour offrir sa vie pour le monde, sans faire de compromis avec ses mensonges et en acceptant qu’il nous refuse. Les compromis avec le monde sont le danger : le chrétien est toujours tenté de faire des compromis avec le monde, avec l’esprit du monde. Cette vie – refuser les compromis et emprunter la route de Jésus-Christ – est la vie du Royaume des Cieux, la plus grande joie, la véritable allégresse. Et ensuite, dans les persécutions, il y a toujours la présence de Jésus qui nous accompagne, la présence de Jésus qui nous console et la force de l’Esprit qui nous aide à aller de l’avant. Ne nous décourageons pas quand une vie cohérente avec l’Évangile attire les persécutions des gens : l’Esprit est là qui nous soutient, sur ce chemin.

 

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